Les petites heures; précédé de Au bord du monde

On frappe à la porte. Je sors de ma passagère insomnie, tout comme mes camarades. Le maître va ouvrir. Dans l’embrasure de la porte, on aperçoit une ombre, celle de ma mère en pleurs. Tous les visages se tournent vers moi. L’affolement me gagne. On me retient dans la salle. Le maître échange quelques mots avec ma mère qui s’en va. Mon père est mort. Je l’apprendrai dans quelques heures. Pour l’instant, l’on m’invente des histoires. Il est blessé mais il reste un espoir. Je n’en crois pas un mot. Tout ira très vite. Nous le retrouverons, un soir, dans la petite chapelle, allongé dans un cercueil clos, mais nous ne le verrons plus. Puis, le village entier l’accompagnera jusqu’en terre. Je n’en saurai guère plus. Pendant des années, ce sera le silence, ce silence-là, bien plus impressionnant que celui des paysages environnants. Ce sera celui de notre mère avec six enfants à charge. Mes livres, s’ils ont le moindre intérêt, ont pris naissance sur ce silence. Imprévu, imprévisible.