Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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29 juin 2017

Martial Kermeur est entendu par un juge. C'est à lui qu'il raconte son histoire, celle qui l'a mené jusqu'à passer par dessus bord, en pleine mer, Antoine Lazenec, promoteur véreux et escroc avéré. Après son geste, Martial rentre tranquillement chez lui, il est arrêté par la police et emmené devant ce juge. C'est alors qu'il raconte l'escroquerie de Lazenec et les conséquences d'icelle sur toute la presqu'île et sur chacun des habitants.
Édité chez Minuit, comme les autres ouvrages de Tanguy Viel, ce livre pourrait être classé dans les romans policiers ou noirs. Quasi huis-clos entre le juge et l'assassin mis à part les retours sur l'affaire Kermeur/Lazenec. Tanguy Viel use des codes du polars en ménageant ses effets et du suspense quant au devenir de Kermeur et aux diverses actions des uns et des autres jusqu'à l'acte ultime. Et puis, surtout, le romancier en profite pour parler de la Bretagne qui lui est si chère, de cette presqu'île que Lazenec veut défigurer par un programme immobilier ravageur mais de bon rapport financier et prometteur de tourisme et donc d'argent pour les habitants. Et pourtant, malgré le temps pas toujours beau : "Je crois que c'est à ce moment-là qu'il a commencé à pleuvoir un peu, une bruine sans vent qui ne fait pas de bruit quand elle touche le sol et même enveloppe l'air d'une sorte de douceur étrange à force de pénétrer la matière et comme la faisant taire." (p.11/12), mais si joliment décrit qu'on a presque envie de se promener sous cette pluie, elle est belle sa région. Les Bretons sont taiseux, introvertis, durs au mal et sensibles, Martial Kermeur est un bon résumé de tout cela, il saura se confier au juge comme sans doute jamais il ne l'a fait auparavant à qui que ce soit. Les personnages de Tanguy Viel sont présents, profonds, c'est une des forces de ses romans, car même lorsqu'il raconte une histoire mainte fois arrivée, il est passionnant par ses descriptions des âmes et des rapports humains. Il ne décrit pas des personnes lisses et sans intérêt, non Kermeur, comme ses compatriotes est rugueux, complexe, un type lambda mais qui s'est beaucoup questionné et continue de le faire tout en se livrant.

L'autre grande force de Tanguy Viel, qui me saisit et me ravit à chaque fois, c'est son écriture : de longues phrases très ponctuées, qui, parfois, peuvent véhiculer plusieurs idées, sans que le lecteur ne se perde. C'est un petit exercice de départ que de se mettre en bouche sa manière d'écrire et donc de le lire, mais une fois parti, tout roule et impossible de passer tel ou tel mot, d'abord pour le sens bien sûr, mais aussi et surtout pour le plaisir de lecture. Un second extrait pour justifier mon propos, Kermeur y parle de Lazenec et de sa technique pour soutirer de l'argent aux plus récalcitrants, tout y est dit en finesse et élégance :
"Et puis quoi, vous croyez que j'aurais cédé si facilement ? Bien sûr que non. Après ça, au contraire, il a laissé le temps s'écouler ce qu'il fallait, les jours s'entasser par-dessus les phrases pour les faire s'oublier et pire encore, faire s'oublier qu'elles pourraient avoir un lien entre elles -quand j'y pense, c'est seulement aujourd'hui, devant vous, quand je rassemble mes souvenirs, c'est seulement aujourd'hui que je soulève le voile qu'il a su déposer et distendre assez pour éparpiller les morceaux dessous." (p.67/68)

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29 juin 2017

Court roman ou plutôt novella, comme ils disent chez In8, dans la collection Polaroïd dirigée par Marc Villard qui a déjà édité pas mal de titres signés par des écrivains célèbres et forts doués : Marc Villard, JB Pouy, Marcus Malte, Pascale Dietrich, Dominique Sylvain, Didier Daeninckx, Marin Ledun ou Pascal Garnier pour ne citer que les plus connus.

Denis Flageul situe son histoire en Bretagne, dans le milieu de la pêche, un milieu dur. Le travail est difficile et les conditions de vie itou. Certains, dont Yvan ont vu leurs bateaux tomber en panne et n'ont pas pu les faire réparer faute de moyen, obligés ensuite de s'embarquer sur les bateaux d'autres pour continuer à payer, à survivre. Aussi lorsque la chance semble sourire, Yvan la saisit sans penser aux conséquences éventuelles ou plutôt en les niant.

C'est une novella très réaliste qui se déroule sur une courte période, noire, résolument. On sent un dénouement probable pas joyeux, mais l'espoir est entretenu tout au long des soixante-quinze pages et donc, bien sûr, je ne dirai rien, même sous la torture. Le monde dur de la mer et des marins tant au travail que leur vie sur terre est bien décrit et c'est bien vu de transposer cette histoire de trafic de drogue dans ce milieu auquel on ne pense pas en général lorsqu'on parle de cannabis. L'ensemble donne une intrigue dense et rapide dans laquelle la haine et la violence dominent -même si cette dernière est exprimée, elle n'est ni gratuite ni au-delà de ce que le lecteur peut supporter. Un livre qui ne se laissera pas poser sur un coin de table avant d'être fini, ce qui ne sera pas une tâche trop pénible -c'est même l'inverse- ni trop longue.

A court roman, court article, il ne me reste plus qu'à vous conseiller de vous pencher sur cette collection Polaroïd, sur les éditions In8 en général et sur Pêche interdite en particulier, qui débute comme ceci :

"La corne du Déjazet lance deux derniers coups brefs et insistants. Kermeur est sans doute le seul à l'entendre dans le chaos de la criée. Il se faufile entre les chariots, les entassements de caisses dégoulinantes et les trieurs qui s'interpellent. Le sac tire un peu sur son bras -trente-cinq kilos peut-être, ou plus- mais pas question de le lâcher." (p.7)

12,00
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29 juin 2017

Ceci n'est pas un roman, mais la vraie histoire de Jacques Enaux. Et, je dois dire qu'elle est bien plus intéressante que pas mal de romans. Tout est dans ce bouquin pour que l'on passe un bon moment. De la tension, de l'amour, de la peur, du découragement et surtout des rencontres, car c'est là l'essentiel. Jacques n'a rien d'un baroudeur, d'un Sylvain Tesson et pourtant, il part au bout du monde à 10 000 kilomètres rencontrer une femme qu'il n'a jamais vue, dans une ville peu habituée à être fréquentée par des touristes, français de surcroit. Il ne parle pas russe et se balade avec son guide franco-russe qui lui permet de converser avec ceux qui ne parlent ni français ni anglais. Il n'a pas peur du ridicule, ne se montre pas sous un jour embelli, mais tel qu'il est, un mec normal, parti dans une drôle d'aventure, qui ne se déroule pas comme prévue.
Son récit est à la fois émouvant et touchant, drôle, décalé, très vif et alerte, d'une qualité littéraire indéniable. Le style est direct, fluide, franc, tout est dit sans détour ou métaphores, aucune ambigüité. Il ne se donne pas le beau rôle du Français venu chercher une très jeune femme russe -jolie bien sûr- et la ramener en France et elle forcément amoureuse de lui -et de son argent. Néanmoins, il aborde le sujet, rapidement comme une mauvaise expérience. Son récit est vraiment la genèse d'une histoire d'amour. Une rencontre qui se transforme rapidement en un amour entre deux adultes consentants. Ce qui la rend décalée, c'est le contexte général : les lieux, la barrière de la langue, les circonstances du voyage, ... Pudique, Jacques Enaux se livre pourtant assez librement sans forcer le trait.
Belle couverture, titre très bon... Laissez-vous faire par ce court texte qui vous ravira, vous laissera un joli sourire sur les lèvres. Je parierai volontiers sur le fait que Jacques Enaux n'en restera pas là, son aisance à raconter son histoire me laisse à penser qu'il pourrait se lancer dans d'autres aventures littéraires. Son livre débute comme ceci :
"Les chiffres rouges de l'horloge au-dessus du pare-brise affichent 6 heures 34. Il règne dans le bus une étrange atmosphère, mélange de douce torpeur et d'attention aiguë qui affute mes sens. Cet état de conscience instinctif rend perceptible le moindre changement perturbant l'ordre établi de fait depuis le départ : un ronfleur chronique deux rangs derrière à gauche, un paquet de chips ouvert cinq sièges en avant, une mère qui réprimande son enfant turbulent dans les places du fond..." (p.5)

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29 juin 2017

"Il est marié et père de famille. Chef cuisinier aussi, un métier à sa mesure, lui qui aime tant partager autour d'une table, magnifier les goûts et les saveurs. A quarante-deux ans, il n'a plus le choix. Le temps d'un été, peut-être d'un bilan, il doit retourner vivre chez sa mère. Pour celle qui retrouve le fils adoré, c'est une renaissance. Entre eux brûlent des regards, des colères, la mémoire d'une enfance aux allures heureuses et une question lancinante : comment s'aimer, tant d'années après ? Les mois passent, et la neige recouvre la campagne. Lui est toujours là. Il s'enlise peu à peu, renonce à toute forme d'ambition. C'en est trop. Il faut agir. Alors, pour l'amour maternel, tout commence." (4ème de couverture)
Voilà typiquement le genre de livres que je fuis. Le résumé pas vraiment sexy. Le titre pas terrible et la couverture moyenne. Un envoi dans ma boîte à lettres sans que je n'ai rien demandé. Dans ces conditions, certains livres ne passent même pas le stade de la lecture des premières pages. Celui-ci, allez savoir pourquoi, je l'ai gardé et retrouvé en triant, activité à laquelle je me livre régulièrement pour ne pas encombrer ma bibliothèque. Et je l'ai ouvert. Et j'ai bien fait. Contre toute attente, j'ai beaucoup aimé. On dit parfois de certaines personnes qu'elles ne paient pas de mine -c'est peut-être une expression du cru ?- et qu'elles gagnent à être connues. Il en va de même pour ce roman de Fabrice Tassel. Minutieux dans les descriptions des actes et des paysages de tous les jours, dans les portraits des gens rencontrés, le romancier fait dans le simple, l'épuré, le réel, le "vrai". C'est un roman qui parle à la fois des petites choses de la vie et des grandes interrogations humaines : le chômage, la vie de couple, la filiation, le changement de vie, l'impact de l'éducation et de l'enfance sur la vie d'adulte.
Fort bien mené, sans temps mort malgré une lenteur affirmée, c'est un roman qui se déguste et qui met l'eau à la bouche lorsque le cuisinier parle de ses plats favoris. Le double point de vue, le sien et celui de sa mère permet de se faire une idée assez nette des deux personnages d'abord heureux de se revoir, puis en proie aux doutes et pas à l'aise avec l'expression de leurs sentiments. Une écriture classique qui joue avec les longueurs de phrases, le rythme, élégante et fluide.
Un livre qui débute par ces phrases : "J'ai quarante-deux ans et je rentre chez ma mère. Pas pour un week-end de repos, ces heures légères et invisibles à cuisiner un poulet au citron, marcher le long du canal avant de repartir l'esprit et le corps apaisés. Je reviens "dans ses jupes", rincé, sans cap, ni boussole. C'est un retour que je n'aurais pas imaginé il y a encore peu. Comme si je n'avais pas voulu, ou su, voir mon odyssée basculer. Je me sens coupable et impuissant. Un enfant." (p.9)

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29 juin 2017

Retour de Franck Mattis après Je vis je meurs, en meilleure forme. Un bon flic, sympa qui tente de faire son boulot au mieux, en respectant collègues et usagers, même les gens qu'il interroge. Toujours en questionnement sur sa vie privée, sa compagne Carole voulant un enfant, lui hésitant.
Philippe Hauret écrit un polar atypique, puisqu'il n'y a pas vraiment d'enquête, juste des gens qui vivent les uns à côté des autres, se croisent. Ils auraient pu se contenter de cela s'il n'y avait eu un petit coup de pouce du destin qui va les faire se fréquenter pour diverses raisons, pas toujours les bonnes. Un roman noir pas que noir. Il y a en lui des parcelles d'espoir, de l'optimisme, même si parfois icelui peut-être mis à mal. Des personnages crédibles, assez réalistes dans une histoire qui peut le paraître moins mais qui pour autant est très bien de bout en bout. Le flic facho est par exemple un type de personnage qu'on ne trouve pas beaucoup dans le polar alors que l'on sait que beaucoup de policiers votent FN : "Il ne pouvait plus supporter la xénophobie qui contaminait petit à petit les rangs de la police. [...] Les conditions de travail se durcissaient, la délinquance explosait, et la paie ne suivait pas. Ce qui rendait ses collègues toujours plus désabusés et nerveux." (p.27).

Philippe Hauret, sans être angélique, se place dans la position de l'écrivain défenseur des faibles, ses "méchants" sont les nantis, les riches et arrogants qui croient que tout s'obtient avec le pouvoir et l'argent, ses héros sympas sont les petits. Par exemple, lorsque Franck arrête un jeune Rom cambrioleur : "Trimballé depuis l'enfance d'un camp de fortune boueux à un autre, des planches en guise de murs, avec pour seul chauffage un poêle bricolé qui diminuait votre espérance de vie à chaque respiration. Un matelas humide, la saleté, les rats parfois, souvent même. La manche à la place de l'école, mais toujours sans un rond, tellement les sommes ramassées se révèlent dérisoires. Et les années passent, l'enfant grandit, sevré de tout, la tête vide de culture, d'éducation, d'hygiène et d'estime de soi-même." (p.25) C'est sans doute ce parti pris qui donne le ton positif au bouquin, on sent que dans les mots du romancier, il y a de l'espoir pour peu que l'on regarde le monde différemment, non plus comme on veut bien nous le montrer, mais avec nos yeux à nous, dépollués.
Une lecture qui fait du bien, même si tout n'est pas rose, un point de vue original dans une histoire qui ne l'est pas moins.